Contes de la Reine n°2.5

Dans le brouhaha du Village-du-pied-de-la-Tour, une petite fille est plantée à quelques pas de la porte-qui-ne-s’ouvre-jamais. La main en visière, elle porte le regard haut pour déterminer à quelle hauteur un corbeau peut s’envoler, et si oui ou non il est capable d’atteindre le sommet de la Tour-qui-ne-s’ouvre-jamais-et-dont-on-ne-voit-pas-toujours-le-haut, et si oui ou non il y a la haut une ouverture par laquelle un corbeau peut entrer, car alors sinon comment entre-t-on dans la Tour, et comment la Reine et sa très nombreuse suite est-elle nourrie, et comment évacue-t-on les eaux sales, car Reine ou pas Reine elle va bien comme tout le monde, bref cette petite fille là est plantée à quelque pas de la porte-qui-ne-s’ouvre-jamais quand elle l’entend : un long gémissement.

Ses yeux se plissent. Le son est ténu. Ce n’est pas un gémissement d’humain, non, quelque chose de plus ancien, sa main descend de son visage. Elle regarde avec les oreilles. Tente de trouver la source de cette plainte continue, un son incongru pour le brouhaha du Village-du-pied-de-la-Tour. A la poursuite du son étrange, ses yeux finissent par retrouver le sol et après la lumière crue d’un soleil toujours au zénith, ils se plissent pour distinguer ce qui là dans la face ombreuse de la Tour-qui-ne-s’ouvre-jamais-et-dont-on-ne-voit-pas-toujours-le-haut, produit ce son qui s’arrête brusquement avant que ses pupilles n’aie trouvé le bon ajustement.

Elle s’apprête à se détourner, retourner à ses corbeaux, quand, enfin elle la voit.

Et sa première pensée est que quelqu’un est allé décrocher le grand tableau au cadre lourdement ornementé que l’on retrouve copié-collé dans toutes les étables, dans toutes les baraques, dans toutes les échoppes et dans tous les cafés, qu’on en a pris la toile, sorti une immense paire de ciseaux, découpé la figure principale, jeté le reste et collé le résultat sur la Porte-qui-ne-s’ouvre-jamais après l’avoir peinte en noir.

A cette idée un sourire nait sur le visage de la fillette mais le vent le balaye aussi sec que les jupes bien réelles de ce qui se tient devant elle avec tout ce qu’il faut de couronne, de robe de velours, de pourpre, d’ors entrelacés et de porte-qui-ne-s’ouvre-jamais-qui-pourtant-s’est-ouverte, et la bouche de la petite à son tour s’entrouvre doucement pour reprendre son souffle loin très loin dans le fond de son petit ventre, où il prend de l’ampleur, remonte à la surface se fait tornade dans ses poumons, prête à tout engloutir et le visage de la petite et l’incompréhension de ce qu’elle voit avant de s’échapper par ses lèvres en un murmure à peine audible : « La Reine…. ».

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